Une méditation lucide sur le désir, le vide, et la place que l’ego occupe dans nos vies.
Mes enfants sont en vacances.
Ils rentrent demain.
Alors aujourd’hui, j’ai rangé la maison. Nettoyé un peu, déplacé deux trois choses, remis de l’ordre.
Et en préparant leur retour, une pensée m’a traversée, discrète mais tenace :
Que se passerait-il si je n’étais pas là demain ?
Pas de drame dans cette question. Aucune tristesse, aucune urgence. Juste une forme de lucidité calme.
Et ce que j’ai ressenti, ce n’est pas la peur, ni la panique. C’est une vérité nue :
Si je suis encore vivante, c’est pour eux.
Pas parce que je pense que ma vie est importante en soi.
Mais parce qu’ils existent. Et pour maintenant, ils ont encore besoin de moi.
Peut-être que rien de ce que nous faisons au quotidien n’a de réelle importance.
Que l’être humain, pris individuellement, ne compte pas tant. Nos pensées, nos ambitions, nos états d’âme : tout cela passe.
Si nous faisons partie d’un Tout plus vaste, alors pourquoi avoir peur du vide ?
Pourquoi vouloir absolument laisser une trace ? Être utile ? Se faire remarquer ?
Et si nous étions juste des âmes en passage, incarnées pour un moment, dans une forme donnée, avant de retourner ailleurs ?
Alors ce que je suis aujourd’hui n’a rien de définitif. Ce que je fais n’est pas si crucial.
Et cette vérité-là, loin de me troubler, m’apaise.
Je n’ai pas peur de la mort. Pas peur de mourir.
Je n’éprouve ni désir de disparition, ni tristesse existentielle. Juste une sorte de lucidité posée.
Je ne crois pas que tout ça soit si sérieux.
Parfois je me sens spectatrice. Comme si je regardais la vie sans y être totalement prise.
Peut-être que c’est pour ça que je perçois si nettement les failles des systèmes.
Je vois le monde comme une pièce de théâtre bien rodée, où chacun joue son rôle avec ferveur.
Moi, j’observe la scène. Et je me dis : peut-être qu’ailleurs, une autre pièce se joue.
Cela ne signifie pas que je rejette la vie.
Cela signifie seulement que je la regarde depuis un autre angle. Avec une certaine distance. Une extralucidité peut-être.
Je n’émets pas de jugement. Je ne cherche pas à convaincre.
Je dis juste ce que je ressens.
Et ce que je ressens aussi, c’est que la plupart de ce que nous faisons vient d’une partie précise de nous : l’ego.
L’ego, ce n’est pas un ennemi. Ce n’est pas une erreur.
C’est une construction. Une fonction. Une interface entre le monde et notre besoin de nous situer.
Il nous raconte une histoire dans laquelle nous sommes quelqu’un.
C’est lui qui dit : “je veux”, “je dois”, “je mérite”.
C’est lui qui compare, qui ambitionne, qui juge.
C’est lui aussi qui pleure, parfois non pas parce qu’il souffre vraiment, mais parce qu’il sent qu’il pourrait cesser d’exister.
Vouloir un enfant, vouloir réussir, posséder, corriger, transmettre… ce ne sont pas des actes condamnables.
Mais souvent, ils sont initiés par l’ego.
Par cette partie de nous qui refuse l’idée de n’être qu’un souffle.
Cette partie qui panique face à l’insignifiance.
Même notre besoin de juger les autres — ceux qui veulent moins, qui agissent différemment — vient de là.
Parce que si d’autres peuvent vivre en dehors de ce jeu, alors peut-être que notre propre désir n’est pas universel.
Et ça, l’ego ne le supporte pas.
Car au fond, l’ego remplit le vide.
Ce vide que l’on fuit.
Celui qui surgit quand plus rien ne presse.
Quand la maison est silencieuse. Quand personne ne nous regarde. Quand il n’y a rien à vouloir.
Et on croit que si l’ego se tait, alors on va disparaître.
Alors on le laisse tout occuper.
Il devient notre narrateur. Notre façade. Notre centre.
Même quand il nous épuise, on le garde. Parce qu’au moins, avec lui, on se sent exister.
Mais parfois, une brèche s’ouvre.
Un souffle passe.
Et une voix intérieure murmure :
Et si je n’étais pas ce que je veux ? Ni ce que je fais ?
Et si je pouvais juste être là, sans rôle, sans objectif, sans défense ?
Alors, peut-être, un autre espace s’ouvre.
Moins bruyant. Moins chargé.
Un espace dans lequel on respire autrement.
Un peu plus libre.
“Ce n’est pas si grave.”
Ce n’est pas du détachement froid.
Ce n’est pas de l’indifférence.
C’est juste une manière différente d’être au monde,
quand on cesse de croire que tout repose sur nous.