Il y a des leçons que j’ai apprises dans la douleur … mais l’obéissance aveugle n’en fait pas partie.
Les trois dernières années m’ont dépouillée.
J’ai perdu mon père.
J’ai perdu mes repères.
J’ai perdu cette illusion fragile qu’en travaillant dur, en persévérant, les choses finissent toujours par s’arranger.
Mes entreprises ont survécu sans vraiment vivre.
Ma quête d’emploi est devenue une traversée du désert.
Et derrière moi, il y avait ma famille. Qui espérait. Qui attendait. Qui comptait sur moi pour tenir, pour ramener la lumière.
Je connais le goût de la dépression.
Je l’ai gardé en bouche comme du métal froid.
Je l’ai combattue avec les armes de fortune qu’il me restait: des rituels minuscules, un espoir têtu, des prières sans grande attente.
Je ne reproche pas à la vie d’être dure.
Mais ce que je ne peux accepter, ce à quoi je ne me soumettrai jamais, c’est cette violence spirituelle qui voudrait faire de la souffrance un projet divin.
On m’a raconté l’histoire de Job.
L’homme qui a tout perdu, pour prouver sa foi.
Un pari céleste, une mise en scène cruelle.
Les gens aiment citer Job comme un modèle de persévérance.
Moi, je lis Job et je vois un abus spirituel.
Parce que quel parent digne de ce nom regarde son enfant sombrer, et appelle cela une leçon de vie ?
Pas moi.
Pas le parent que je suis.
Pas le Dieu auquel j’ai envie de croire.
Je ne sais pas à quel moment cette théologie s’est glissée dans nos veines.
Cette idée que pour mériter la joie, il faut d’abord ployer sous le poids de l’épreuve.
Qu’il faut supplier longtemps.
Qu’il faut se taire longtemps.
Qu’il faut souffrir longtemps.
Mais je sais que cela ne vient pas de nous.
Cela vient de l’histoire qu’on nous a volée.
De nos cosmologies qu’on a brisées.
De nos spiritualités arrachées, remplacées par une foi de soumission, de contrôle, d’effacement de soi.
Et nous avons courbé l’échine si longtemps que cela nous semble presque naturel.
Mais ce ne l’est pas.
Je suis fatiguée de prier comme on implore un geôlier.
Fatiguée d’être sommée d’attendre, sans fin, un miracle hypothétique.
Fatiguée des théologies qui font de nous des mendiants spirituels.
Je crois en Dieu.
Mais pas en un Dieu qui abandonne.
Pas en un Dieu qui a besoin de me briser pour me bénir.
Pas en un Dieu qui confond humiliation et sainteté.
Alors je désapprends.
Je désapprends la foi coloniale de la rareté et de la douleur.
Je désapprends la doctrine des salles d’attente et des portes fermées.
Je désapprends le silence honteux qui nous interdit de demander : Quel parent laisserait son enfant souffrir ainsi ?
Et je me souviens.
Je me souviens que je viens d’un peuple qui a rencontré Dieu dans les rivières, dans les tambours, dans le rire.
Un peuple qui n’avait pas besoin d’être brisé pour être béni.
Un peuple dont les prières n’étaient pas des murmures apeurés, mais des chants de gratitude.
Je n’ai pas toutes les réponses.
Mais je sais ce que je ne ferai pas :
Je n’enseignerai pas à mes enfants que Dieu est une épreuve à surmonter.
Je leur enseignerai qu’ils sont aimés — ici, maintenant, sans condition.
Et peut-être que c’est tout ce dont ma foi a besoin, aujourd’hui.