Le jour où j'ai arrêté de répondre au téléphone

L'autre jour, la discussion avec une amie m'a rappelé à quel point c'était important de se mettre à la place de l'autre, d'être patiente, et de donner le bénéfice du doute.

Mon amie me parlait de sa relation avec une autre personne avec qui elle avait été très proche, relation qui a été coupée brutalement, l'autre ne donnant plus de nouvelles du jour au lendemain, ne répondant plus au téléphone, rien.
Une relation fusionnelle, interrompue brusquement. Mon amie me faisait part de son incompréhension, de son désarroi, de sa tristesse. "Ghoster" quelqu'un, geste d'une violence inouïe, parce qu'on ne comprend pas, on ne pas s'expliquer, on ne sait pas ce qu'on a fait, ce qu’on n’a pas fait, on reste pour une durée indéterminée dans le questionnement.

J'ai alors confié à mon amie que moi, j'ai été un jour, celle qui n'a pas répondu aux coups de fil. Je lui ai parlé de ces jours où te lever le matin est un effort. Ces jours où répondre au téléphone est un supplice, parce qu'on ne veut pas, on ne peut pas expliquer. On entend souvent "mais il faut au moins prévenir les gens!". Non, on ne peut pas prévenir les gens, la seule prière étant que les gens nous oublient. Un désir profond de disparaitre des mémoires.

On veut juste être capable de se lever le matin, faire le strict nécessaire, se recoucher et recommencer le lendemain. On ne veut pas écouter, ni entendre les conseils, ni les remontrances qui sur le moment n'ont pas de sens, tellement on veut être ailleurs. Puis, on se dit, qu'on rappellera demain, la semaine prochaine, le mois prochain, quand on ira mieux. Un mois passe, deux mois, trois mois, un an. On va mieux à ce moment-là...ou pas.
C'est trop tard de toutes les manières, on se dit. Après la dépression, vient la honte. La honte d'expliquer qu'on ne pouvait pas, que c'était juste impossible. La honte de dire qu'on ne peut toujours pas expliquer. Peut-on passer à autre chose? La honte d'avoir fait souffrir l'autre, de l'avoir en un sens, abandonné. La honte de s’être abandonné, surtout. Et la culpabilité aussi. Parce qu’en plus du mal être, on porte le poids des conventions sociales, le poids du regard des autres et de ce qu’on pense être leur perception de nous.

Je lui ai parlé de cette période qui pour moi, a duré deux ans. Deux ans pendant lesquels je ne savais pas moi même ce qui m’arrivait, à l’époque (je sais aujourd’hui que j’ai fait une dépression). Deux ans pendant lesquels la bonne volonté seulement des uns et des autres n’aurait pas réussi à me sortir de ma carapace. Deux ans pendant lesquels cette dé-pression, ce dépouillement étaient la clé de ma renaissance et de la personne que je suis aujourd’hui.

Je sais que ce texte que j’écris ici n’est pas réjouissant pour ceux et celles qui ont dans leur entourage, des personnes qui se sont retirés de leur vie, et qui sont peut-être en train de passer par ce par quoi je suis passée. Je comprends l’incompréhension. Je comprends la délicatesse de suggérer à la personne de se faire accompagner ( en retrospective, à l’époque me faire accompagner m’aurait peut être fait sortir de cette passe plus vite.) Souvent, comme moi, les personnes ne se rendent pas compte qu’elle sont en dépression, parce que les symptômes dépressifs varient selon les personnes. J’étais ce qu’on appelle « high functioning depressive », ce qui implique que mon état ne m’empêchait pas d’accomplir mes tâches quotidiennes et de le faire même avec succès, ce qui rendait mon mal être pratiquement indétectable.

Si je ne m’étais pas intuitivement appuyée sur mes propres stratégies d’adaptation, ceux qui me fréquentaient (mais ne me connaissaient pas vraiment) à l’époque auraient peut-être remarqué que j’avais perdu la motivation et l’intérêt que je portais à mes activités quotidiennes, que j’étais plus souvent fatiguée, que mon estime de moi avait pris un coup, que je me sentais coupable par rapport à des événements récents, que je me suralimentais, etc. Je l’avais caché à mon mari, je m’étais isolée, j’étais donc seule, et c’est ce que je recherchais.

J’ai expliqué à mon amie donc, que ne sachant pas pourquoi elle avait été « ghostée », si elle le pouvait d’accorder à son amie la grâce de se retrouver, si c’était de cela qu’elle avait besoin. Je lui ai conseillé de faire la paix avec cette situation, avec l’absence son amie, sans rechercher des explications de son côté parce qu’elle se serait torturé pour rien, et la rupture n’était dans tous les cas pas une chose dont elle devait porter la responsabilité. Cette rupture ne devait pas être interpréter comme un échec de sa part, mais comme le signe que à ce moment, cette personne avait peut-être besoin de plus, ou d’autre chose que sa proximité et son amitié.

A tous et toutes, si vous passez par la phased « ghost » ou « ghosté.e » en ce moment je vous envoie tout mon amour et toute la grâce dont vous avez besoin pour dépasser cette étape.


Much love